Vingt et Unième Dimanche après la Pentecôte
      Le Christ de l'Apocalypse
      Le Christ de l'Apocalypse
      (Fresque de la Crypte de la Cathédrale d'Auxerre)

         
         

        Evangile selon Saint Luc (8:5-15)

            Un semeur sortit pour semer sa semence. Comme il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin: elle fut foulée aux pieds, et les oiseaux du ciel la mangèrent. Une autre partie tomba sur le roc: quand elle fut levée, elle sécha, parce qu'elle n'avait point d'humidité. Une autre partie tomba au milieu des épines: les épines crûrent avec elle, et l'étouffèrent. Une autre partie tomba dans la bonne terre: quand elle fut levée, elle donna du fruit au centuple. Après avoir ainsi parlé, Jésus dit à haute voix: Que celui qui a des oreilles pour entendre entende!
            Ses disciples lui demandèrent ce que signifiait cette parabole. Il répondit: Il vous a été donné de connaître les mystères du royaume de Dieu; mais pour les autres, cela leur est dit en paraboles, afin qu'en voyant ils ne voient point, et qu'en entendant ils ne comprennent point.
            Voici ce que signifie cette parabole: La semence, c'est la parole de Dieu. Ceux qui sont le long du chemin, ce sont ceux qui entendent; puis le diable vient, et enlève de leur cœur la parole, de peur qu'ils ne croient et soient sauvés. Ceux qui sont sur le roc, ce sont ceux qui, lorsqu'ils entendent la parole, la reçoivent avec joie; mais ils n'ont point de racine, ils croient pour un temps, et ils succombent au moment de la tentation. Ce qui est tombé parmi les épines, ce sont ceux qui, ayant entendu la parole, s'en vont, et la laissent étouffer par les soucis, les richesses et les plaisirs de la vie, et ils ne portent point de fruit qui vienne à maturité. Ce qui est tombé dans la bonne terre, ce sont ceux qui, ayant entendu la parole avec un cœur honnête et bon, la retiennent, et portent du fruit avec persévérance.
         
         

        Lettre de Saint Paul aux Galates (2:16-20)

            Néanmoins, sachant que ce n'est pas par les œuvres de la loi que l'homme est justifié, mais par la foi en Jésus-Christ, nous aussi nous avons cru en Jésus-Christ, afin d'être justifiés par la foi en Christ et non par les œuvres de la loi, parce que nulle chair ne sera justifiée par les œuvres de la loi. Mais, tandis que nous cherchons à être justifiés par Christ, si nous étions aussi nous-mêmes trouvés pécheurs, Christ serait-il un ministre du péché? Loin de là! Car, si je rebâtis les choses que j'ai détruites, je me constitue moi-même un transgresseur, car c'est par la loi que je suis mort à la loi, afin de vivre pour Dieu. J'ai été crucifié avec Christ; et si je vis, ce n'est plus moi qui vis, c'est Christ qui vit en moi; si je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m'a aimé et qui s'est livré lui-même pour moi.
         
         
         
         
         

      Méditation du Père Lev



       
       
       
       

            La parabole du semeur, que nous lisons dans l'évangile du 21e dimanche après la Pentecôte, est un des textes évangéliques les plus connus. Mais peut-être cette parabole est-elle plus connue sous son aspect négatif (les cas où le grain ne lève pas) que sous son aspect positif: nous savons, en général, que le grain pousse s'il tombe dans la «bonne terre», mais peut-être ne voyons-nous pas d'une manière assez précise et concrète les conditions que l'évangile pose à sa germination.

            Jésus explique aux disciples - il ne l'avait pas dit à la foule - que la semence représente la parole de Dieu. Le semeur, c'est-à-dire Dieu lui-même ou son Fils, jette le grain. Parfois le grain tombe sur le bord de la route, mais les passants le foulent aux pieds et les oiseaux le mangent : ainsi ceux qui se tiennent sur le bord de la route reçoivent la parole, mais le diable survient et l'enlève de leur coeur. Parfois la semence tombe sur le roc, et, faute d'humidité, elle se dessèche : ainsi ceux qui ont reçu avec joie la parole, mais n'ont pas de racines, perdent ce qu'ils ont reçu, lorsque vient la tentation. Parfois la parole tombe au milieu des épines, et les ronces l'étouffent:  ainsi les soucis terrestres, les richesses et les plaisirs étouffent-ils la parole qui avait commencé à germer. Et parfois la parole tombe « dans la bonne terre » et elle produit cent pour un : ainsi en est-il chez ceux qui l'ont reçue avec un coeur sincère et s'attachent à elle avec patience.

            Il ne suffit pas que la parole tombe « dans la bonne terre ». Les causes pour lesquelles la semence n'a pas fructifié ailleurs montrent quelles conditions sont nécessaires à une vraie vie spirituelle. Il ne faut pas nous tenir sur la grande route, à la portée des passants ; une certaine séparation d'avec le monde, un certain silence, un certain recueillement (variables selon les cas, mais nécessaires dans tous les cas sans exception) préserveront la semence divine. Il faut que le terrain où tombe la semence soit humide, il faut qu'il soit fréquemment et régulièrement arrosé; cela signifie que nous devons recourir d'une manière constante à la prière et aux autres sources de grâce, sans attendre les moments d'émotion ou d'«inspiration». Ne rejetons pas à la légère les cadres fixes, les horaires, les réglements de vie : ils peuvent constituer une entrave inutile au libre vol des aigles, mais le plus souvent ils aident les enfants et les infirmes que nous sommes. Il faut que nous ne laissions pas les ronces, c' est-à-dire les attractions et les distractions du monde, étouffer la parole : il ne s' agit pas ici seulement de passions coupables, ou de richesses ou d'ambitions terrestres ;
        souvent des divertissements qui ne sont pas nécessairement coupables (voyages, réceptions, théâtre, lectures de romans, etc) empêchent une relation d'intimité entre Dieu et nous. La « bonne terre » est un mélange de dons naturels et de grâce ( la grâce peut d' ailleurs suppléer aux défauts de la nature) ; mais, même là où la «bonne terre» existe, il n'y a pas de vie spirituelle possible sans l'effort quotidien et patient, sans certaines répressions, sans une certaine régularité et stabilité aussi bien de la vie matérielle que de la vie mentale ( les « racines ») , sans méditations et sans examens de conscience ( ces termes peuvent être modernes, mais les pères du désert pratiquaient ces choses). Bref, la semence de la parole ne peut croître en nous sans un certain ascétisme. L'ascétisme n'est pas à la mode : on préfère parler de mysticisme. Mais il n'existe pas de vraie vie mystique sans une sérieuse assise ascétique : la parole de Dieu ne prendra possession de notre âme si nous n' avons pas cultivé le terrain et retranché les ronces.

            Notre Seigneur dit aux disciples qu'il parle en paraboles, afin que « les autres voient sans voir et entendent sans comprendre ». Ces paroles n'ont pas nécessairement le sens d'un rejet et d'une condamnation définitive de ceux auxquels il n'est pas donné « de connaître les mystères du Royaume de Dieu ». Notre Seigneur, au contraire, use d'une miséricordieuse condescendance envers ceux qui ne sont pas maintenant capables de recevoir avec sympathie son enseignement. Il enseignera donc en symboles, sous une forme voilée. Les esprits prêts à entendre - et désireux d'entendre - comprendront le sens mystérieux des paraboles. Les autres entendront d'une manière purement matérielle, sans comprendre; et, en les laissant dans l'obscurité, Jésus leur épargne le péché que constituerait leur refus pleinement conscient d'admettre le message divin. Mais ils ne sont pas exclus de l'annonce de ce message. A cause de sa forme frappante, de ses images pittoresques, la parabole fera une vive impression sur ceux-là même qui ne la comprennent pas; elle se gravera dans leur mémoire; et peut-être un jour viendra où ils seront eux aussi prêts à comprendre et où, sous la lettre dont ils se souviennent, l' esprit du message leur deviendra manifeste.

            L'épître que nous lisons aujourd'hui continue en quelque sorte celle que nous lisions dimanche dernier. Paul, nous l'avons vu alors, devait défendre son autorité apostolique contre un certain parti « judaisant ». Ce parti enseignait le salut par les oeuvres, par l'observation de la loi, tandis que Paul enseignait le salut par la foi et la grâce. Aujourd'hui nous entendons Paul déclarer de la manière la plus nette : «l'homme n' est pas justifié par la pratique de la loi, mais seulement par la foi en Jésus Christ... puisque par la pratique de la loi personne ne sera justifié». Paul se hâte de réfuter les conséquences néfastes que certains esprits pourraient tirer de la doctrine de la justification par la foi : celle-ci ne signifie pas que nous puissions pécher.
        Au contraire : « Par la loi je suis mort à la loi afin de vivre pour Dieu : je suis crucifié avec le Christ; et ce n'est plus moi qui vit, mais le Christ qui vit en moi...». Dans ces derniers mots - la substitution d'une personne vivante à une loi écrite - se trouve condensée toute l'essence de l' « évangile » de Paul. La personne de Jésus vivant en moi accomplit et abolit tout ensemble la loi, de même qu'une rivière se jetant dans la mer est en même temps totalement conservée (sous un aspect) et totalement supprimée (sous un autre aspect), ou de même qu'un homme qui franchirait d'un seul bond un certain espace au lieu de le parcourir pas-à-pas supprimerait et accomplirait parfaitement, en un même acte, tout ce parcours. Si désormais je commets certaines actions ou j'évite telles autres actions, ce n'est plus (ou ce n'est plus seulement) parce que l' ancienne loi écrite les commandait ou les défendait, mais parce que Jésus-Christ a vécu et est mort d'une certaine manière. La personne vivante du Christ est devenue ma loi. La foi dont parle Paul, la foi qui justifie, est la foi dans cette personne vivante de Jésus : « Je vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi». C'est pourquoi cette foi doit être une foi vivante, c'est-à-dire une foi qui produit des oeuvres ; et dès lors nous commençons à comprendre l'enseignement de Paul sur le salut par la foi. Nous sommes justifiés par la foi, non par les oeuvres, mais la foi qui justifie n'est pas une foi morte et stérile : elle est toujours accompagnée par des oeuvres bonnes, qui constituent le fruit et le signe nécessaires de la vraie foi. Là où la foi et les oeuvres sont présentes ensemble, c'est la foi (non une simple adhésion intellectuelle, mais une consécration totale à la personne de Jésus-Christ) qui sauve : les oeuvres ne sauvent pas. Mais, si les oeuvres n'étaient pas là, la foi qui sauve, principe des oeuvres, serait elle aussi absente. La foi - comme la semence de la parole de Dieu - doit porter des fruits ; et ainsi nous réjoignons la parabole du semeur.
         
         

      père Lev


                   Textes tirés du livre "L'an de grâce du Seigneur" du Père Lev Gillet
                                       ("Un moine de l'Eglise d'orient") aux éditions du Cerf
         


      Saint Etienne

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