Vingt-Deuxième Dimanche
après la Pentecôte
Un riche est attablé entouré d'un homme et d'une
femme auxquels il offre un bon repas.
Le serviteur apporte les mets, de la droite où pend une
marmite à la crémaillère.
A gauche, un pauvre est à la porte tout couvert d'ulcères
que lèchent les chiens.
L'invité fait remarquer au maître du repas sa présence,
en pointant
son doigt vers le malheureux que le riche se refuse de voir.
(Chapiteau de la basilique de Vézelay)
Evangile selon Saint Luc (16:19-31)
Il y avait un
homme riche, qui était vêtu de pourpre et de fin lin, et qui
chaque jour menait joyeuse et brillante vie. Un pauvre, nommé Lazare,
était couché à sa porte, couvert d'ulcères,
et désireux de se rassasier des miettes qui tombaient de la table
du riche; et même les chiens venaient encore lécher ses ulcères.
Le pauvre mourut, et il fut porté par les anges dans le sein d'Abraham.
Le riche mourut aussi, et il fut enseveli.
Dans le séjour
des morts, il leva les yeux; et, tandis qu'il était en proie aux
tourments, il vit de loin Abraham, et Lazare dans son sein. Il s'écria:
Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, pour qu'il
trempe le bout de son doigt dans l'eau et me rafraîchisse la langue;
car je souffre cruellement dans cette flamme.
Abraham répondit:
Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie,
et que Lazare a eu les maux pendant la sienne; maintenant il est ici consolé,
et toi, tu souffres. D'ailleurs, il y a entre nous et vous un grand abîme,
afin que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous, ou de là vers
nous, ne puissent le faire.
Le riche dit:
Je te prie donc, père Abraham, d'envoyer Lazare dans la maison de
mon père; car j'ai cinq frères. C'est pour qu'il leur atteste
ces choses, afin qu'ils ne viennent pas aussi dans ce lieu de tourments.
Abraham répondit:
Ils ont Moïse et les prophètes; qu'ils les écoutent.
Et il dit: Non, père Abraham, mais si quelqu'un des morts va vers
eux, ils se repentiront. Et Abraham lui dit: S'ils n'écoutent pas
Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader
quand même quelqu'un des morts ressusciterait.
Lettre de Saint Paul aux Galates (6:11-18)
Voyez avec quelles
grandes
lettres je vous ai écrit de ma propre main. Tous ceux qui veulent
se rendre agréables selon la chair vous contraignent à vous
faire circoncire, uniquement afin de n'être pas persécutés
pour la croix de Christ. Car les circoncis eux-mêmes n'observent
point la loi; mais ils veulent que vous soyez circoncis, pour se glorifier
dans votre chair. Pour ce qui me concerne, loin de moi la pensée
de me glorifier d'autre chose que de la croix de notre Seigneur Jésus-Christ,
par qui le monde est crucifié pour moi, comme je le suis pour le
monde! Car ce n'est rien que d'être circoncis ou incirconcis; ce
qui est quelque chose, c'est d'être une nouvelle créature.
Paix et miséricorde sur tous ceux qui suivront cette règle,
et sur l'Israël de Dieu! Que personne désormais ne me fasse
de la peine, car je porte sur mon corps les marques de Jésus. Frères,
que la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ soit avec votre
esprit! Amen!
Cette parabole est d'un tout autre ton que les récits de guérison et de miséricorde si fréquents dans l' évangile de Luc. Elle est un sévère avertissement. La jouissance égoiste en ce monde aura pour sanction la souffrance dans l' autre monde. Par contre, le pauvre sera dans l'abondance. Le sens général de la parabole est si clair, si simple, qu'il n'a besoin d'aucune explication. Mais quelques points de détail méritent d'être considérés de plus près. « Un pauvre... gisait près de son portail...». Le monde de la misère et de la souffrance n' est pas un monde irréel, lointain. Dieu lui-même dépose à ma porte, à ma propre porte, cette misère; il ne me demandera pas si j'ai eu pitié, d'une manière abstraite, de toute cette misère lointaine que je ne puis soulager, mais il me demandera ce que j'ai fait pour aider « un pauvre », un mendiant concret, présent, bien réel, «du nom de Lazare», qu'il avait spécialement choisi afin que j' exerce envers lui la miséricorde. Ce Lazare peut avoir besoin d'argent, de soins, d'aide morale : peu importe. Ce qui importe, c'est que mes yeux l' aperçoivent, lui qui gît devant ma maison (c'est-à-dire : lui que Dieu m'a donné spécialement l'occasion de rencontrer), et que je fasse quelque chose pour lui. Remarquons que le riche ne semble pas avoir été par ticulièrement dur de coeur ou cruel : il a péché par négligence, il n'a pas fait attention à Lazare. Dieu ne me reprochera pas nécessairement d' avoir fermé mon coeur aux malheureux : il me reprochera d'avoir été trop négligent et trop égoiste pour penser à le leur ouvrir. Le contraste entre la fin de ces deux vies est saisissant : « Le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans le sein d' Abraham. Le riche aussi mourut et on l'enterra». L'un a été « emporté par les anges »; l'autre a été « enterré» ,sans doute avec la pompe qui convient à un homme riche, mais avec tout ce que le mot « enterré » comporte de définitif et de contraire à une assomption entre des mains angéliques. « Emporté par les anges » - ou «enterré » : ces deux destins, dans un sens spirituel, ne sont pas seulement les destins des morts, mais, déjà en cette vie, un homme peut se laisser porter vers Dieu par les anges ou, il peut se laisser ensevelir, recouvrir par cette terre à laquelle seule il est attaché. L' opposition entre les deux destins est fortement soulignée : « Entre vous et nous a été fixé un grand abîme... qu'on ne traverse pas...». S'agit-il ici d'une affirmation de l'irrévocabilité et de l'éternité des peines des «damnés» ? Nous ne voudrions pas toucher en ce moment à cette question théologique que nous aurons l' occasion de retrouver. Mais nous observons que le riche, même dans l'Hadès (quelle que soit la nature de cet Hadès), ne semble pas repentant; nous ne voyons pas ici que Dieu refuse de faire miséricorde à un homme qui maintenant regretterait son ancienne attitude envers Lazare et condamnerait son propre égoïsme : d'un tel regret, il n'y a nulle trace. Ce que nous lisons, c' est seulement que le riche désire, d'une part être soulagé dans les tourments qu'il endure, et, d'autre part, éviter ce sort à sa propre famille. Remarquons enfin cette expression : « ... de même ils ne seront pas persuadés ». Dieu veut que nous soyons « persuadés » de nous repentir : la repentance qu'il désire n'est le fruit ni de l'acceptation d'une autorité extérieure, ni de la stupeur que causerait un signe miraculeux tel que la résurrection d'un mort (et, d'ailleurs, quand Jésus ressuscita des morts un autre Lazare, les Pharisiens ne se repentirent point). Cette repentance doit être le fruit d'une persuasion intérieure, d'un long et inévitable travail de l'Esprit sur notre esprit : dans la vie spirituelle, tout doit être de l'Esprit.
L' épître
de ce Dimanche - qui commence par une phrase si touchante : « Voyez
quels gros caractères, ma main trace à votre intention »
- pose d'une manière directe et concrète la question principale
sur laquelle Saint Paul et les « judaïsants » s'opposaient,
dans ce conflit déjà indiqué par les épîtres
des deux Dimanches précédents. Il s'agit de la circoncision.
Les adversaires de Paul voudraient contraindre les Galates à se
faire circoncire. Mais qu'est-ce que la circoncision, sinon une marque
«dans la chair » ? La marque du disciple de Jésus n'est
pas la circoncision, mais la Croix du Sauveur. « Que jamais je ne
me glorifie sinon dans la Croix de notre Seigneur Jésus-Christ.»
L'apôtre affirme une fois de plus que la vie du chrétien est
une chose entièrement spirituelle et ne dépend pas de certains
faits physiques tels que la circoncision : « Car la circoncision
n'est rien,ni l'incirconcision; il s'agit d'être une créature
nouvelle ». Puis, de nouveau, Paul introduit une note émouvante,
toute personnelle et dont le sens nous demeure d'ailleurs mystérieux
: « Dorénavant que personne ne me suscite d'ennuis : je porte
dans mon corps les marques de Jésus ».