Vingt-Troisième Dimanche
après la Pentecôte
La Mer de Galilée vue d'une "pente escarpée"
(appelée aussi Lac de Tibériade)
Evangile selon Saint Luc (8:26-39)
Ils abordèrent
dans le pays des Géraséniens, qui est vis-à-vis de
la Galilée. Lorsque Jésus fut descendu à terre, il
vint au-devant de lui un homme de la ville, qui était possédé
de plusieurs démons. Depuis longtemps il ne portait point de vêtement,
et avait sa demeure non dans une maison, mais dans les sépulcres.
Ayant vu Jésus,
il poussa un cri, se jeta à ses pieds, et dit d'une voix forte:
Qu'y a-t-il entre moi et toi, Jésus, Fils du Dieu Très-Haut?
Je t'en supplie, ne me tourmente pas. Car Jésus commandait à
l'esprit impur de sortir de cet homme, dont il s'était emparé
depuis longtemps; on le gardait lié de chaînes et les fers
aux pieds, mais il rompait les liens, et il était entraîné
par le démon dans les déserts.
Jésus
lui demanda: Quel est ton nom? Légion, répondit-il. Car plusieurs
démons étaient entrés en lui. Et ils priaient instamment
Jésus de ne pas leur ordonner d'aller dans l'abîme. Il y avait
là, dans la montagne, un grand troupeau de pourceaux qui paissaient.
Et les démons supplièrent Jésus de leur permettre
d'entrer dans ces pourceaux. Il le leur permit. Les démons sortirent
de cet homme, entrèrent dans les pourceaux, et le troupeau se précipita
des pentes escarpées dans le lac, et se noya.
Ceux qui les
faisaient paître, voyant ce qui était arrivé, s'enfuirent,
et répandirent la nouvelle dans la ville et dans les campagnes.
Les gens allèrent voir ce qui était arrivé. Ils vinrent
auprès de Jésus, et ils trouvèrent l'homme de qui
étaient sortis les démons, assis à ses pieds, vêtu,
et dans son bon sens; et ils furent saisis de frayeur.
Ceux qui avaient vu ce qui s'était
passé leur racontèrent comment le démoniaque avait
été guéri. Tous les habitants du pays des Géraséniens
prièrent Jésus de s'éloigner d'eux, car ils étaient
saisis d'une grande crainte. Jésus monta dans la barque, et s'en
retourna.
L'homme de qui
étaient sortis les démons lui demandait la permission de
rester avec lui. Mais Jésus le renvoya, en disant: Retourne
dans ta maison, et raconte tout ce que Dieu t'a fait. Il s'en alla, et
publia par toute la ville tout ce que Jésus avait fait pour lui.
Lettre de Saint Paul aux Ephesiens (2:4-10)
Mais Dieu, qui
est riche en miséricorde, à cause du grand amour dont il
nous a aimés, nous qui étions morts par nos offenses, nous
a rendus à la vie avec Christ (c'est par grâce que vous êtes
sauvés); il nous a ressuscités ensemble, et nous a fait asseoir
ensemble dans les lieux célestes, en Jésus-Christ, afin de
montrer dans les siècles à venir l'infinie richesse de sa
grâce par sa bonté envers nous en Jésus-Christ.
Car c'est par
la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi.
Et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu. Ce n'est point par
les œuvres, afin que personne ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage,
ayant été créés en Jésus-Christ pour
de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d'avance, afin que
nous les pratiquions.
Cet épisode, pour beaucoup de lecteurs de l'évangile, n'est pas sans difficultés. Il y a d'abord la question de la possession diabolique. Tous ces cas de possession diabolique dont parlent les évangiles ne seraient-ils des cas de maladies nerveuses ? Les démons existent-ils ? Peuvent-ils posséder des hommes ? La science ne peut fournir aucune réponse à ces questions. Il est hors de doute que Jésus croyait à un esprit du mal personnifié et capable de prendre possession des individus. Que souvent, dans l'histoire ultérieure du christianisme, on ait attribué à des influences diaboliques ce qui relevait simplement de la pathologie mentale, nous l' admettons bien volontiers. Mais on ne saurait retrancher des évangiles les cas de possession qu'en vertu d'une interprétation toute subjective et arbitraire. L'envoi des démons dans le troupeau de porcs semble aussi à beaucoup de lecteurs un mythe assez grossier. N'y a-t-il pas là un acte de cruauté et un abus plutôt immoral de la propriété d' autrui ? Diverses explications ont été proposées. L'épisode montrerait le souverain pouvoir du créateur sur toute créature. Ou encore Jésus aurait voulu punir les villageois qui violaient la loi mosaique en élévant des porcs ( mais les Géraséniens étaient-ils Juifs ?). Sans prétendre pénétrer ce qui demeurera un mystère, nous inclinerions à voir surtout dans la fin malheureuse du troupeau de porcs un « signe » : Jésus suggère que l'abandon à la puissance du mal conduit toujours à la mort et à la perte totale, avec, dans les derniers moments, un certain caractère de fureur.
Insistons sur quelques aspects secondaires de l'épisode. Jésus demande au possédé : « Quel est ton nom ?». Il y a là plus qu'une simple question ; une thérapeutique est déjà incluse dans ces paroles. Car Jésus veut ramener le possédé, qui a parlé comme s'il ne faisait qu'un avec le démon, à la conscience de sa propre identité. Il veut lui rendre le sens de sa personnalité et de son indépendance. Chaque fois qu'un pécheur s'est enfoncé dans l'habitude jusqu'à sembler être dirigé par les puissances mauvaises, Jésus veut qu'avant toute autre chose le pécheur se dissocie de ces puissances et se souvienne de son nom propre, - le nom que Dieu lui a donné: « Je t' ai appelé par ton nom, tu es à moi...» (Isaie 43:1). En ce nom, par lequel Dieu nous appelle, se trouvent notre vraie liberté et notre vraie vocation. Le possédé répond à Jésus : « Mon nom est légion », et l'évangile explique : « parce que beaucoup de démons étaient entrés en lui ». L'homme avait peut-être vu une légion romaine, cette force inexorable, à la fois multiple et si unifiée. De même, si nous nous laissons aller au péché, nous devenons « légion »; nos instincts, nos images mentales, tous nos éléments psychiques acquièrent une indépendance chaotique ; la volonté affaiblie par chaque chute n'est plus en état de les ressaisir et de les co-ordonner ; notre personnalité entière se dissocie, se désintègre. Dieu seul peut rassembler et réparer ces fragments brisés. « Rassemble mon coeur...» comme nous le lui demandons dans le psaume 86 (verset 11). Plus tard, quand le possédé a été guéri, il prie Jésus de le garder auprès de lui ; mais Jésus lui dit de retourner dans sa maison et d'y déclarer ce que Dieu avait fait pour lui. Et l'homme rentre « publiant dans la ville entière ce que Jésus avait fait pour lui ». La plupart des chrétiens ne sont pas appelés à suivre Jésus au sens matériel du mot et à devenir des disciples itinérants; mais ils ont un apostolat normal à exercer dans leur milieu immédiat et quotidien, dans le milieu de leur famille et de leur travail : cet apostolat ne consiste pas à « prêcher », il consiste à rendre un témoignage personnel, à partager avec d'autres une expérience authentique, à « déclarer » et à « publier » ce que Jésus a fait pour eux. Ni l'éloquence ni beaucoup d'intelligence ne sont nécessaires à ce ministère. Il est accessible aux plus humbles, car un esprit de sincérité et de piété y suffit.
Nous lisons, ce dimanche, un fragment de l'épître aux Ephésiens.
Dieu, riche en miséricorde et en amour, nous a vivifiés,
alors que nous étions morts par nos transgressions (cette idée
de mort spirituelle suivie de salut raccorde l'épître au récit
de possession diabolique et de guérison que l'évangile nous
a fait entendre). Mais Saint Paul insiste : ce n'est point par nous-mêmes
ni par nos oeuvres que nous sommes sauvés, c' est par la grâce,
par la foi, par le don de Dieu. Nous sommes sauvés dans le Christ
Jésus; avec lui nous sommes ressuscités et montés
au ciel; la bonté de Dieu envers nous se manifeste dans le Christ
Jésus, et dans le Christ Jésus nous avons été
créés pour accomplir certaines bonnes oeuvres que Dieu nous
a préparées d'avance. Cette dernière formule exprime
merveilleusement bien le double fait que, d'une part, c'est seulement par
le Christ, dans le Christ et gratuitement que nous sommes sauvés,
et que, d'autre part, nous rencontrons dans le Christ lui-même les
bonnes oeuvres inséparables de sa personne et à l'accomplissement
desquelles Dieu nous a destinés.
Textes tirés du livre "L'an de grâce du Seigneur"
du Père Lev Gillet
("Un moine de l'Eglise d'Orient") aux éditions du Cerf