Evangile selon Saint Luc (15: 11-32)
Ce dimanche continue à développer
le thème du repentir et du pardon, délà traité
lors du dimanche du Pharisien et du Publicain. Mais l'épître
ouvre en quelque sorte une parenthèse et aborde un sujet spécial
: celui de la mortification corporelle. Cela s' explique par le fait que,
huit jours après ce dimanche, nous entrerons dans la période
du jeûne; et, déjà maintenant, l'Eglise nous fait entendre
un avertissement de Saint Paul concernant cette matière. L'apôtre
dit d'abord aux Corinthiens que toutes les choses permises ne sont pas
profitables. Nous ne devons nous laisser dominer par rien, même pas
ce qui est licite. Les aliments sont pour le ventre; le ventre est pour
les aliments. Mais ni le ventre ni les aliments n' ont d'importance pour
la vie spirituelle, car Dieu détruira les aüments et détruira
le ventre.
Elargissant son thème, l'apôtre
parle alors de l'impureté. Si les aliments sont pour le ventre,
notre corps n' est pas pour la fornication. Notre corps est pour le Seigneur.
le Seigneur est pour notre corps. Ici nous est présenté un
argument très caractéristique de Paul, lequel juge tout "en
termes de Christ". On pourrait s'attendre à ce que l'apôtre
condamne l'impureté en se plaçant sur le plan moral, celui
de la loi, des vices et des vertus. Mais Paul voit les choses sous un autre
angle. «Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ
? Et je prendrais les membres du Christ, pour en faire les membres d'une
prostituée ? ». Non seulement nous sommes les membres du Christ,
mais nous sommes le temple de l'Esprit : «Ne savez-vous pas que votre
corps est le temple du Saint Esprit..»?. Donc, «fuyez la fornication..».
Le jeûne alimentaire n' est ni la seule ni la plus haute forme du
jeûne. La pureté sexuelle, celle du coeur et de la pensée
aussi bien que celle du corps lui-même, est, selon la condition de
chacun, dans le mariage et dans le célibat, exigée de nous
par le Seigneur d'une manière impérative.
Venons-en maintenant à l'idée
centrale de ce Dimanche. Elle se trouve exposée dans l'évangile
que nous lisons aujourd'hui pendant la liturgie : c' est la parabole du
fils prodigue. Parmi les paraboles évangéliques, celle du
fils prodigue est peut-être la plus connue, la plus familière.
Elle est certainement une des plus touchantes.
Peut-être ne reconnaissons-nous
pas toujours où est le centre de cette parabole. Ce centre est-il
dans le changement d'esprit du jeune homme qui a laissé son père,
dissipé ses biens dans une vie de débauche, éprouvé
la faim, envié les caroubes que mangeaient les pourceaux, et décidé
de partir et de retourner vers son père ? Certes, la parole du jeune
homme : «Je me lèverai, et j'irai vers mon père, et
je lui dirai : père, j' ai péché contre le ciel et
contre toi, et je ne suis plus digne d' être appelé ton fils»,
- certes, cette parole demeure une expression profondément émouvante
du repentir. La résolution du fils prodigue : «Je me lèverai
et j'irai vers mon père», met bien en lumière l'importance
de l'acte énergique, de l'acte de la volonté (on ne peut
aller vers le père si d'abord on ne se lève et si l'on ne
part.) Toutefois, le jeune homme repentant n'est pas la figure la plus
attrayante de la parabole. Son repentir n' est pas le résultat d'un
revirement tout-à-fait désintéressé de la conscience.
Ce repentir n' est pas étranger à tout calcul personnel :
le fils prodigue désire échapper à la misère,
il choisit la seule issue ouverte devant lui. La personne centrale de la
parabole est plutôt la personne du père. Là, nous sommes
en présence d'une tendresse absolument désintéressée
et gratuite. Une tendresse qui attend, qui veille, qui guette le retour
du prodigue, et qui, le voyant encore au loin, ne peut plus y tenir : le
père, bouleversé de compassion, court au-devant de son enfant,
se jette à son cou et 1'embrasse longuement. (On sait combien, en
Orient, une telle attitude dérogerait à la dignité
d'un vieillard.) Et voici que le père, sans adresser aucun reproche
au prodigue, ordonne de lui mettre au doigt un anneau (le signe de l'héritierl,
aux pieds des chaussures (le signe de l'homme libre, distinct de l'esclave),
de tuer le veau gras et de festoyer. Il fait apporter «la plus belle
robe », et l' on en revêt le fils : remarquons qu'il ne s'
agit pas de la plus belle des robes que possédait le prodigue avant
son départ, mais de la plus belle robe qui puisse se trouver dans
la maison. Dieu ne rend pas simplement au pécheur repentant la grâce
qu'il pouvait avoir avant le péché : il lui accorde la plus
grande grâce qu'il puisse recevoir, un maximum de grâce.
L'histoire du prodigue est notre
propre histoire. Le départ volontaire, la vie coupable, la détresse,
le repentir, le retour et le pardon : nous avons vécu tout cela
- et combien de fois . Soyons attentifs au rôle que joue un troisième
personnage : le frère aîné du prodigue. Dans la parabole,
le fils aîné se montre jaloux de son frère. Il s'irrite
du pardon si généreusement donné. Il refuse, malgré
les instances de son père, de prendre part aux réjouissances.
C' est le contraire de ce qui se
passe dans le vrai retour du pécheur. Tout fils prodigue qui revient
est incité au retour par le frère aîné, le fils
auquel le père dit : «Toi, mon enfant, tu es toujours avec
moi, et tout ce qui est à moi est à toi», - le Seigneur
Jésus - qui prend le pécheur par la main et le conduit au
père avec une brûlante affection.
Les vêpres et les matines de ce dimanche contiennent des passages qui commentent éloquemment pour nous les enseignements de la parabole. En voici quelques uns :
«Ayant dilapidé les dons paternels, moi le malheureux, j'ai brouté avec les bêtes muettes et ayant faim, j'ai désiré leur nourriture... C'est pourquoi, je retournerai chez mon père, pleurant et lui disant : Reçois-moi comme l'un de tes serviteurs, moi qui m'agenouille devant ton amour des hommes.. ô sauveur condescendant, aie pitié de moi, purifie-moi... et donne-moi de nouveau la première robe de ton Royaume...».
«Notre but, frères,
est de comprendre la puissance de ce mystère. Car, quand l'enfant
prodigue s'éloigna du péché et retourna à son
refuge paternel, son père très bon le reçut, l'embrassa
et lui remit tous les insignes de la gloire».
Extraits du livre "L'an de grâce du Seigneur" du Père
Lev Gillet
("Un moine de l'Eglise d'Orient") aux éditions du Cerf