Evangile
selon Saint Matthieu (8:28- 9:1)
Lorsqu'il
fut à l'autre bord, dans le pays des Gadaréniens,
deux démoniaques, sortant des sépulcres, vinrent
au-devant de lui. Ils étaient si furieux que personne n'osait
passer par là.
Et voici, ils s'écrièrent:
Qu'y a-t-il entre nous et toi, Fils de Dieu? Es-tu venu ici pour
nous tourmenter avant le temps?
Il y avait loin d'eux
un grand troupeau de pourceaux qui paissaient.
Les démons
priaient Jésus, disant: Si tu nous chasses, envoie-nous
dans ce troupeau de pourceaux.
Il leur dit: Allez!
Ils sortirent, et entrèrent dans les pourceaux.
Et voici, tout le
troupeau se précipita des pentes escarpées dans
la mer, et ils périrent dans les eaux.
Ceux qui les faisaient
paître s'enfuirent, et allèrent dans la ville raconter
tout ce qui s'était passé et ce qui était
arrivé aux démoniaques.
Alors toute la ville
sortit à la rencontre de Jésus; et, dès qu'ils
le virent, ils le supplièrent de quitter leur territoire.
Jésus, étant
monté dans une barque, traversa la mer, et alla dans sa
ville.
Méditation
du Père Lev
L' évangile du cinquième
Dimanche après la Pentecôte rapporte la guérison
d'un cas de possession diabolique opérée par Jésus
et l' entrée des démons dans un troupeau de porcs
qui se jette dans la mer de Galilée. Nous avons déjà
rencontré cet épisode dans l'évangile du
vingt-troisième Dimanche après la Pentecôte
(Luc 8:27-38), au début de l'année liturgique, et
nous prions le lecteur de vouloir bien s'y référer.
Le même épisode se trouve aussi dans l'évangile
selon Marc (5:1-20). Les trois récits contiennent quelques
différences de détail, mais leur substance est identique.
L'évangile
du 23e dimanche après la Pentecôte décrit
la guérison d'un possédé dans le pays des
Géraséniens. Tantôt on tenait cet homme lié
par des chaînes; tantôt il fuyait au désert
et habitait dans des sépulcres (une vie dominée
par l'esprit du mal n'est-elle pas déjà un tombeau?).
Voyant Jésus, le possédé se prosterne devant
lui et le prie de ne pas le tourmenter, car Jésus avait
commandé au démon de sortir de cet homme (qui parle
maintenant comme s'il s'identifiait avec le démon lui-même).
Du moins le démon, puisqu'il doit être expulsé,
demande-t-il à Jésus de ne pas l'envoyer «
dans l'abîme », c'est-à-dire dans l'Hadès
où, d'après la conception juive, les démons
subissent leurs souffrances, mais de l'autoriser à entrer
dans un troupeau de porcs qui paissaient sur la montagne. Jésus
y consent. Les démons (plutôt que le démon)
abandonnent le possédé, entrent dans les porcs,
et le troupeau tout entier se jette dans le lac de Galilée.
L'homme qui avait été possédé est
maintenant guéri, assis aux pieds de Jésus. Mais
les Géraséniens effrayés prient Jésus
de s'éloigner : la présence du Christ n'est-elle
pas toujours un danger pour notre vie privée et nos affaires
? Ne requiert-elle pas de nous de trop durs changements?
Cet épisode,
pour beaucoup de lecteurs de l'évangile, n'est pas sans
difficultés. Il y a d'abord la question de la possession
diabolique. Tous ces cas de possession diabolique dont parlent
les évangiles ne seraient-ils des cas de maladies nerveuses
? Les démons existent-ils ? Peuvent-ils posséder
des hommes ? La science ne peut fournir aucune réponse
à ces questions. Il est hors de doute que Jésus
croyait à un esprit du mal personnifié et capable
de prendre possession des individus. Que souvent, dans l'histoire
ultérieure du christianisme, on ait attribué à
des influences diaboliques ce qui relevait simplement de la pathologie
mentale, nous l' admettons bien volontiers. Mais on ne saurait
retrancher des évangiles les cas de possession qu'en vertu
d'une interprétation toute subjective et arbitraire. L'envoi
des démons dans le troupeau de porcs semble aussi à
beaucoup de lecteurs un mythe assez grossier. N'y a-t-il pas là
un acte de cruauté et un abus plutôt immoral de la
propriété d' autrui ? Diverses explications ont
été proposées. L'épisode montrerait
le souverain pouvoir du créateur sur toute créature.
Ou encore Jésus aurait voulu punir les villageois qui violaient
la loi mosaique en élévant des porcs ( mais les
Géraséniens étaient-ils Juifs ?). Sans prétendre
pénétrer ce qui demeurera un mystère, nous
inclinerions à voir surtout dans la fin malheureuse du
troupeau de porcs un « signe » : Jésus suggère
que l'abandon à la puissance du mal conduit toujours à
la mort et à la perte totale, avec, dans les derniers moments,
un certain caractère de fureur.
Insistons
sur quelques aspects secondaires de l'épisode. Jésus
demande au possédé : « Quel est ton nom ?».
Il y a là plus qu'une simple question ; une thérapeutique
est déjà incluse dans ces paroles. Car Jésus
veut ramener le possédé, qui a parlé comme
s'il ne faisait qu'un avec le démon, à la conscience
de sa propre identité. Il veut lui rendre le sens de sa
personnalité et de son indépendance. Chaque fois
qu'un pécheur s'est enfoncé dans l'habitude jusqu'à
sembler être dirigé par les puissances mauvaises,
Jésus veut qu'avant toute autre chose le pécheur
se dissocie de ces puissances et se souvienne de son nom propre,
- le nom que Dieu lui a donné: « Je t' ai appelé
par ton nom, tu es à moi...» (Isaie 43:1). En ce
nom, par lequel Dieu nous appelle, se trouvent notre vraie liberté
et notre vraie vocation. Le possédé répond
à Jésus : « Mon nom est légion »,
et l'évangile explique : « parce que beaucoup de
démons étaient entrés en lui ». L'homme
avait peut-être vu une légion romaine, cette force
inexorable, à la fois multiple et si unifiée. De
même, si nous nous laissons aller au péché,
nous devenons « légion »; nos instincts, nos
images mentales, tous nos éléments psychiques acquièrent
une indépendance chaotique ; la volonté affaiblie
par chaque chute n'est plus en état de les ressaisir et
de les co-ordonner ; notre personnalité entière
se dissocie, se désintègre. Dieu seul peut rassembler
et réparer ces fragments brisés. « Rassemble
mon coeur...» comme nous le lui demandons dans le psaume
86 (verset 11). Plus tard, quand le possédé a été
guéri, il prie Jésus de le garder auprès
de lui ; mais Jésus lui dit de retourner dans sa maison
et d'y déclarer ce que Dieu avait fait pour lui. Et l'homme
rentre « publiant dans la ville entière ce que Jésus
avait fait pour lui ». La plupart des chrétiens ne
sont pas appelés à suivre Jésus au sens matériel
du mot et à devenir des disciples itinérants; mais
ils ont un apostolat normal à exercer dans leur milieu
immédiat et quotidien, dans le milieu de leur famille et
de leur travail : cet apostolat ne consiste pas à «
prêcher », il consiste à rendre un témoignage
personnel, à partager avec d'autres une expérience
authentique, à « déclarer » et à
« publier » ce que Jésus a fait pour eux. Ni
l'éloquence ni beaucoup d'intelligence ne sont nécessaires
à ce ministère. Il est accessible aux plus humbles,
car un esprit de sincérité et de piété
y suffit.
Revenons à la grande
doctrine de la justification par la foi. Dans l'épître
d'aujourd'hui, Saint Paul continue à développer
ce thème. Il déplore l' aveuglement des Israélites
qui, «cherchant à établir leur propre justice,
ont refusé de se soumettre à la justice de Dieu».
Cette «justice de Dieu», c' est le Christ lui-même.
«Car la fin de la loi, c'est le Christ...». Une telle
phrase demande à être correctement comprise. Paul
ne veut certainement pas dire que le contenu de la loi morale
a été aboli. Les crimes que la loi condamne demeurent
des crimes; le bien qu' elle commande continue à être
le bien. Mais nous ne sommes plus liés par une loi
extérieure et institutionnelle, par un texte écrit.
La personne de Jésus-Christ est devenue notre loi. Il ne
s' agit plus de savoir si telle ou telle action est prescrite
ou interdite par un texte, mais de nous demander si elle est,
ou non, conforme au Christ. Cette loi nouvelle, Jésus-Christ,
«la parole de la foi aue nous prêchons», n'
est pas difficile à retenir ou à formuler. elle
n'est pas un texte lointain, elle n' est même pas située
hors de nous-mêmes. "La Parole est tout près de toi,
sur tes lèvres et dans ton coeur... Si tes lèvres
confessent que Jésus est Seigneur et si ton coeur croit
que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé".
Rappelons-nous toutefois que, si elle ne
porte pas des fruits de sainteté, une croyance gardée
dans notre coeur n'est que du verbalisme. Remercions Dieu de ce
qu'il nous a délivrés de multiples et pesantes observances
extérieures; il nous a établis dans la liberté,
il nous demande, au lieu d'une soumission à une lettre,
d'agir dans un certain esprit, selon un certain sens. Mais, puisque
l'apôtre Paul fait ici usage d'un texte de l' Ancien Testament,
relisons la phrase dans l' original et en étant attentifs
aux derniers mots : «La Parole est tout près de toi,
elle est dans ta bouche et dans ton coeur pour que tu la mettes
en pratique».
Extraits du livre "L'an de grâce
du Seigneur" (éditions du Cerf)
du Père Lev Gillet ("Un moine de l'Eglise d'Orient")
Epitre
aux Romains (10:1,10)
10:1 Frères, le vœu de mon cœur et ma prière à
Dieu pour eux, c'est qu'ils soient sauvés.
10:2 Je leur rends le témoignage qu'ils ont du zèle
pour Dieu, mais sans intelligence:
10:3 ne connaissant pas la justice de Dieu, et cherchant à
établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis
à la justice de Dieu;
10:4 car Christ est la fin de la loi, pour la justification de
tous ceux qui croient.
10:5 En effet, Moïse définit ainsi la justice qui
vient de la loi: L'homme qui mettra ces choses en pratique vivra
par elles.
10:6 Mais voici comment parle la justice qui vient de la foi:
Ne dis pas en ton cœur: Qui montera au ciel? c'est en faire descendre
Christ;
10:7 ou: Qui descendra dans l'abîme? c'est faire remonter
Christ d'entre les morts.
10:8 Que dit-elle donc? La parole est près de toi, dans
ta bouche et dans ton cœur. Or, c'est la parole de la foi, que
nous prêchons.
10:9 Si tu confesses de ta bouche le Seigneur Jésus, et
si tu crois dans ton cœur que Dieu l'a ressuscité des morts,
tu seras sauvé.
10:10 Car c'est en croyant du cœur qu'on parvient à la
justice, et c'est en confessant de la bouche qu'on parvient au
salut, selon ce que dit l'Ecriture: