Dix-Neuvième Dimanche après la Pentecôte

Le Christ de l'Apocalypse
Le Christ de l'Apocalypse
(Fresque de la Crypte de la Cathédrale d'Auxerre)

Evangile selon Saint Luc (6:31-36)

    Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux.
     Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on? Les pécheurs aussi aiment ceux qui les aiment.
     Si vous faites du bien à ceux qui vous font du bien, quel gré vous en saura-t-on? Les pécheurs aussi agissent de même.
     Et si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on? Les pécheurs aussi prêtent aux pécheurs, afin de recevoir la pareille.
     Mais aimez vos ennemis, faites du bien, et prêtez sans rien espérer. Et votre récompense sera grande, et vous serez fils du Très-Haut, car il est bon pour les ingrats et pour les méchants.
     Soyez donc miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux.

    Deuxième lettre de Saint Paul aux Corinthiens (11:31,12:9)

     Dieu, qui est le Père du Seigneur Jésus, et qui est béni éternellement, sait que je ne mens point!... A Damas, le gouverneur du roi Arétas faisait garder la ville des Damascéniens, pour se saisir de moi; mais on me descendit par une fenêtre, dans une corbeille, le long de la muraille, et j'échappai de leurs mains. Il faut se glorifier... Cela n'est pas bon. J'en viendrai néanmoins à des visions et à des révélations du Seigneur. Je connais un homme en Christ, qui fut, il y a quatorze ans, ravi jusqu'au troisième ciel (si ce fut dans son corps je ne sais, si ce fut hors de son corps je ne sais, Dieu le sait). Et je sais que cet homme (si ce fut dans son corps ou sans son corps je ne sais, Dieu le sait) fut enlevé dans le paradis, et qu'il entendit des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme d'exprimer. Je me glorifierai d'un tel homme, mais de moi-même je ne me glorifierai pas, sinon de mes infirmités. Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un insensé, car je dirais la vérité; mais je m'en abstiens, afin que personne n'ait à mon sujet une opinion supérieure à ce qu'il voit en moi ou à ce qu'il entend de moi. Et pour que je ne sois pas enflé d'orgueil, à cause de l'excellence de ces révélations, il m'a été mis une écharde dans la chair, un ange de Satan pour me souffleter et m'empêcher de m'enorgueillir. Trois fois j'ai prié le Seigneur de l'éloigner de moi, et il m'a dit: Ma grâce te suffit, car ma puissance s'accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc bien plus volontiers de mes faiblesses, afin que la puissance de Christ repose sur moi.

Méditation du Père Lev
        Le 19e dimanche après la Pentecôte ramène notre attention vers les tout premiers enseignements de Jésus en Galilée et particulièrement vers le sermon sur la montagne, sous la forme abrégée qu'en donne Saint Luc. Le très court évangile que nous lisons aujourd'hui traite de l'amour des ennemis. Faites aux hommes ce que vous voudriez qu'ils vous fassent. Si vous aimez seulement ceux qui vous aiment, si vous faites du bien à ceux-là seuls qui vous font du bien, si vous prêtez à ceux là seuls qui vous prêtent, vous faites ce que font les pécheurs eux-mêmes, et rien de plus. Ce sont vos ennemis qu'il faut aimer, c'est à eux qu'il faut faire du bien et prêter, car ainsi vous vous montrerez les fils de Dieu qui étend sa bonté jusqu'aux méchants.

        L'idée de ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu' ils nous fassent était familière aux Juifs contemporains de Jésus et appartenait à l' enseignement rabbinique. Jésus dépasse ce précepte négatif et demande que nous traitions les autres comme nous aimerions être traités par eux. Mais ce nouveau commandement, ce commandement positif risque d'être mal compris par nous. Nous pourrions être tentés de faire du bien aux hommes dans l'espoir qu' ils nous le rendront et qu'il y aura une sorte d'équivalence entre notre attitude et la leur.
    C' est pourquoi Jésus se hâte d' insister sur le principe du désintéressement. Notre amour doit être gratuit; il doit aller vers ceux dont nous n'attendons rien en retour. Le climax de l'évangile d'aujourd'hui est la phrase : «Montrez-vous miséricordieux comme votre père est miséricordieux.» Nous sommes ici bien loin d'un banal conseil moral, tel que. aimez les autres sans espérer de récompense.

        Cette phrase nous confronte avec tout ce que le devoir chrétien d'amour a d'absolu et - disons-le - d'inaccessible. Etre miséricordieux comme le Père est miséricordieux ne signifie pas que notre miséricorde puisse jamais rejoindre l' infinité de la miséricorde divine; mais, dans notre faible mesure, nous devons nous inspirer des mêmes sentiments que le Père; c' est de l' océan de la miséricorde du Père que doivent provenir les petites gouttes d'eau que sont nos actes de miséricorde, et c'est dans cet océan qu' elles doivent finalement se jeter. Nous ne pouvons accomplir les actes de miséricorde du père, mais nous pouvons participer à son esprit miséricordieux. Une première manifestation de cet esprit est de ne jamais considérer un homme comme tout-à-fait perdu. « Aimez vos ennemis... sans rien attendre en retour » dit l'évangile d'aujourd'hui. Ce n'est pas un optimisme humanitaire et superficiel : après tout, un homme n'est jamais entièrement mauvais; il peut changer. Notre attitude s'inspirera d'une autre pensée : si Dieu ne cesse de faire du bien au pécheur, s' il est toujours prêt à lui ouvrir ses bras, oserai-je être plus rigoureux que Dieu ? Dans le plusgrand pécheur, dans le plus grand criminel, il reste toujours « l'image de Dieu ». Il s'agit de savoir comment « l'image de Dieu » en moi peut rejoindre « l'image de Dieu » dans mon ennemi - ou dans le pécheur.

        L'épître que nous lisons ce dimanche a un caractère exceptionnellement personnel et auto-biographique. Saint Paul, qui se sait discuté et peut-être combattu par certains membres de l'Eglise de Corinthe, expose les titres sur lesquels se fonde son autorité. Il a été persécuté : c' est ainsi qu'il a dû échapper de Damas dans une corbeille descendue le long d'un mur . Non seulement il a souffert pour le Christ, mais - s'il faut en venir à se glorifier ( quoique, dit Paul, cela ne convienne pas) - il a eu des visions et des révélations du Seigneur. Il connaît un homme (et il n'y a pas de doute qu' ici l'apôtre parle de lui-même) qui a été emporté jusqu'au paradis où il a entendu des paroles ineffables. Néanmoins Paul ne cherchera pas à se glorifier dans de telles choses, mais plutôt dans ses faiblesses. Ainsi, afin que la grandeur de ces révélations ne l' exalte pas, il lui a été donné une épine dans la chair - « un ange de Satan chargé de me souffleter ». Trois fois il a prié Dieu de le délivrer de cette épreuve, mais Dieu lui a répondu : « Ma grâce te suffit : car ma puissance se déploie dans la faiblesse ».

        Paul soulève ici le voile qui recouvre sa vie la plus intime, la plus profonde. Nous n'essaierons pas de soulever ce voile plus que Paul lui-même ne le fait. La nature des visions de Paul, comment il a été transporté au paradis, ce qu'était exactement ce paradis et même ce «troisième ciel », quelles paroles il y a entendues : tout cela, nous ne le saurons pas en ce monde. Nous ne saurons pas davantage ce qu'était son « épine dans la chair » : peut-être une maladie, peut-être une tentation persistante. Et, au fond, ces détails ont pour nous peu d'importance spirituelle. Ce qui importe, c' est l' enseignement éternel qu'ils enveloppent. Ne tirons pas vanité des manifestations divines privilégiées (sentiment de la présence de Dieu ou du Christ, paroles intérieures, etc.) qui peuvent nous être accordées - et qui sont fréquemment accordées à des pécheurs et à des débutants dans la vie spirituelle; même les plus hautes extases des mystiques ne signifient rien quant au véritable progrès spirituel, qui est la conformité de la volonté humaine avec la volonté divine. Remercions Dieu plutôt de ce que sa force se fait sentir dans notre faiblesse; remercions-le des occasions où, avec l'aide de sa grâce, nous supportons patiemment et victorieusement les épines qui peuvent avoir été mises dans notre chair. Si parfois ces épines nous semblent trop douloureuses, si Dieu semble ne pas entendre notre prière, lorsque nous lui demandons de nous délivrer d' elles, rappelons-nous que la grâce de Dieu suffit à tout et que ces épreuves sont peut-être la condition de notre avancement dans les voies du royaume du Père : cela est particulièrement vrai de certaines tentations et de certaines maladies humiliantes. Seigneur Jésus, que ta puissance s'accomplisse dans ma faiblesse.

             Textes tirés du livre "L'an de grâce du Seigneur" du Père Lev Gillet
                                   ("Un moine de l'Eglise d'orient") aux éditions du Cerf

Cette page a été préparée par la Paroisse
St-Etienne et St-Germain à Vézelay

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