Notre Dame Joie des Affligés

Article en mémoire

de l'archiprêtre
Nicolas Lossky

(+ 23 octobre 2017)

écrit par Olga Lossky-Laham,
sa petite fille.

Sainte Geneviève
Archiprêtre Nicolas LosskyNé le 20 novembre 1929 à Paris, Nicolas Vladimirovitch Lossky est issu d’une famille d’intellectuels russes ayant émigré en France au lendemain de la Révolution de 1917. Son grand-père est le philosophe essentialiste Nicolas Onufrievitch Lossky. Son père, le théologien Vladimir Nicolaievitch Lossky, a vécu l’exil comme une invitation providentielle à placer la richesse spirituelle de l’Église orthodoxe au cœur de sa vie, dans un contexte occidental de rencontre avec les chrétiens d’autres confessions. Grandi dans une intense atmosphère ecclésiale, le jeune Nicolas est initié très tôt à la théologie et à la liturgie orthodoxes. Il assiste à la germination d’une orthodoxie francophone dont son père est l’un des grands promoteurs, en collaboration avec les membres de la confrérie Saint-Photius parmi lesquels Maxime Kovalevsky et Evgraf Kovalevsky, qui deviendra Mgr Jean de Saint-Denis. En 1932, son père décide, contrairement à Mgr Euloge et à la plupart des émigrés qui s’inquiètent de voir l’Église russe sous influence soviétique, de rester au Patriarcat de Moscou, selon l’argument qu’« on ne quitte pas une église en détresse  ». C’est donc dans la paroisse Notre-Dame-Joie-des-Affligés-et-Sainte-Geneviève, fondée en 1936 et rattachée au patriarcat de Moscou, que Nicolas grandira. Cette communauté constitue l’un des germes les plus anciens de l’orthodoxie d’expression locale. Très tôt, les textes liturgiques sont traduits en français et la décision est prise de passer au nouveau calendrier.
Dans ce contexte, Nicolas, qui dirige le chœur de la paroisse, va étudier en profondeur l’adaptation des textes liturgiques en langue française et participer à des travaux de traduction. Cette réflexion sur le rapport entre la musique et le texte, qu’il mènera toute sa vie, le conduira à écrire un ouvrage synthétique sur le thème, intitulé Théologie de la musique liturgique (Cerf, 2003). Son intérêt pour la musique liturgique, né dans une pratique paroissiale concrète, se rattache à la question plus large de l’avènement d’une Église orthodoxe en France. Tous les engagements théologiques de Nicolas Lossky s’y rapporteront, que ce soit sur le plan intra-orthodoxe ou œcuménique. Le développement de l’orthodoxie en France ne peut en effet se penser sans un dialogue avec les autres confessions chrétiennes présentes sur ce sol.
Son activité panorthodoxe amène Nicolas à compter en 1959 parmi les refondateurs de la revue Contacts, revue française de l’orthodoxie, d’orientation théologique et spirituelle, qui se veut aussi un espace de dialogue interconfessionnel. Il y côtoie ses amis Olivier Clément, père Boris Bobrinskoy, père Michel Evdokimov et Élisabeth Behr-Sigel. Ce noyau dynamique de Contacts sera l’un des instigateurs de la Fraternité Orthodoxe en Europe Occidentale, mouvement désireux d’œuvrer à l’unité des orthodoxes de toutes origines présents sur le sol français. Nicolas Lossky prend une part active au développement et aux événements de la Fraternité. Il était encore présent au dernier congrès trisannuel organisé par la Fraternité à Bordeaux en 2015. Il participe également aux travaux du Comité interépiscopal, contribuant fortement à le faire évoluer vers l’actuelle Assemblée des Évêques Orthodoxes en France (AEOF) qui vise à la collaboration entre les évêques orthodoxes des différentes juridictions présentes sur le sol français. Il y anime la commission liturgique, l’une des instances travaillant sous l’égide de l’AEOF.
Nicolas compte aussi parmi les membres du corps professoral de l’Institut de théologie orthodoxe de Paris (Institut Saint-Serge), où il enseigne l’histoire de l’Église en Occident durant près de quarante ans.
Son activité panorthodoxe se trouve imbriquée dans son engagement œcuménique. Il a été sensibilisé à cette question dès son plus jeune âge, notamment par sa participation au Fellowship Saint-Alban-and-Saint-Sergius, qui promeut en Grande-Bretagne le dialogue entre orthodoxes et anglicans, mais aussi par sa scolarité chez les Jésuites. Nicolas est membre de nombreuses commissions théologiques de dialogue, telles que Foi et Constitution au sein du Conseil Œcuménique des Églises comme avec les catholiques qui n’en font pas partie. Il contribue à la rédaction de documents œcuméniques importants, comme le BEM (Baptême, Eucharistie, Ministère, Lima, 1982) Il enseigne aussi à l’ISEO (Institut Supérieur d’Études Œcuméniques), dont il est un temps le directeur. Il est par ailleurs un fidèle des retraites œcuméniques de la Transfiguration dans la communauté protestante de Pomeyrol (Gard), un familier des monastères de Chevetogne et de Bose. Son activité théologique le conduit à donner des cours et des conférences un peu partout dans le monde, que ce soit à destination d’un public orthodoxe ou œcuménique. Il est aussi co-auteur du Dictionary of the Ecumenical Movement (Genève, 1991).
Il est important de noter que cette intense activité ecclésiale s’est déroulée en sus de ses engagements professionnels. Nicolas Lossky a en effet mené une carrière universitaire de professeur de civilisation britannique à la faculté de Paris-X-Nanterre, institution au sein de laquelle il a pris des responsabilités pédagogiques et administratives importantes. Il a obtenu son doctorat ès-lettres en Sorbonne en 1984, avec une thèse sur le théologien anglican Lancelot Andrewes. Mentionnons enfin qu’il s’est marié en 1952 avec Véronique Youdine-Belsky, spécialiste de la poétesse russe Marina Tsvétaeva. Tous deux ont eu quatre enfants, de nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants. Leurs divers engagements - familiaux, universitaires et ecclésiaux - furent fondés sur un dialogue conjugal qui aura duré près de soixante-dix ans. En 2006, Nicolas est appelé à la prêtrise dans la paroisse de son enfance où il n’a pas cessé d’œuvrer. Affaibli par la maladie à partir de 2011, il n’en continue pas moins son activité théologique et pastorale, les derniers temps sous forme de conversations et de conseils informels, jusqu’à sa mort, le 23 octobre 2017.

Le père Nicolas Lossky aura toute sa vie tenu un rôle de conciliateur  : membre d’une paroisse rattachée au patriarcat de Moscou, il n’en est pas moins professeur de l’Institut Saint-Serge dépendant du patriarcat œcuménique ; orthodoxe, il ne cesse de dialoguer avec les anglicans, les catholiques et les protestants dans un esprit bienveillant mais sans compromis doctrinal ; engagé dans la vie de l’Église, il travaille dans le milieu laïc de l’université française, se montrant très attaché à cet environnement socio-culturel au sein duquel il fait preuve d’une ouverture reconnue et s’efforce, sans repli identitaire, de rester un fidèle témoin du Christ. Profondément enraciné dans la tradition russe et irrigué par un riche héritage familial, il œuvre jusqu’à son dernier souffle pour mettre l’orthodoxie française sur la voie d’une Église locale autonome, où il est possible dans un contexte contemporain occidental d’être pleinement disciple du Christ, ainsi que l’a montré la vie du père Nicolas.  
Olga LOSSKY-LAHAM
 
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