
Né
le 20 novembre 1929 à Paris, Nicolas Vladimirovitch Lossky est issu
d’une famille d’intellectuels russes ayant émigré en France au lendemain
de la Révolution de 1917. Son grand-père est le philosophe essentialiste
Nicolas Onufrievitch Lossky. Son père, le théologien Vladimir Nicolaievitch
Lossky, a vécu l’exil comme une invitation providentielle à placer
la richesse spirituelle de l’Église orthodoxe au cœur de sa vie, dans
un contexte occidental de rencontre avec les chrétiens d’autres confessions.
Grandi dans une intense atmosphère ecclésiale, le jeune Nicolas est
initié très tôt à la théologie et à la liturgie orthodoxes. Il assiste
à la germination d’une orthodoxie francophone dont son père est l’un
des grands promoteurs, en collaboration avec les membres de la confrérie
Saint-Photius parmi lesquels Maxime Kovalevsky et Evgraf Kovalevsky,
qui deviendra Mgr Jean de Saint-Denis. En 1932, son père décide, contrairement
à Mgr Euloge et à la plupart des émigrés qui s’inquiètent de voir
l’Église russe sous influence soviétique, de rester au Patriarcat
de Moscou, selon l’argument qu’« on ne quitte pas une église en détresse
». C’est donc dans la paroisse Notre-Dame-Joie-des-Affligés-et-Sainte-Geneviève,
fondée en 1936 et rattachée au patriarcat de Moscou, que Nicolas grandira.
Cette communauté constitue l’un des germes les plus anciens de l’orthodoxie
d’expression locale. Très tôt, les textes liturgiques sont traduits
en français et la décision est prise de passer au nouveau calendrier.
Dans ce contexte, Nicolas,
qui dirige le chœur de la paroisse, va étudier en profondeur l’adaptation
des textes liturgiques en langue française et participer à des travaux
de traduction. Cette réflexion sur le rapport entre la musique et
le texte, qu’il mènera toute sa vie, le conduira à écrire un ouvrage
synthétique sur le thème, intitulé Théologie de la musique liturgique
(Cerf, 2003). Son intérêt pour la musique liturgique, né dans une
pratique paroissiale concrète, se rattache à la question plus large
de l’avènement d’une Église orthodoxe en France. Tous les engagements
théologiques de Nicolas Lossky s’y rapporteront, que ce soit sur le
plan intra-orthodoxe ou œcuménique. Le développement de l’orthodoxie
en France ne peut en effet se penser sans un dialogue avec les autres
confessions chrétiennes présentes sur ce sol.
Son activité panorthodoxe amène Nicolas à compter en 1959 parmi les
refondateurs de la revue Contacts, revue française de l’orthodoxie,
d’orientation théologique et spirituelle, qui se veut aussi un espace
de dialogue interconfessionnel. Il y côtoie ses amis Olivier Clément,
père Boris Bobrinskoy, père Michel Evdokimov et Élisabeth Behr-Sigel.
Ce noyau dynamique de Contacts sera l’un des instigateurs de la Fraternité
Orthodoxe en Europe Occidentale, mouvement désireux d’œuvrer à l’unité
des orthodoxes de toutes origines présents sur le sol français. Nicolas
Lossky prend une part active au développement et aux événements de
la Fraternité. Il était encore présent au dernier congrès trisannuel
organisé par la Fraternité à Bordeaux en 2015. Il participe également
aux travaux du Comité interépiscopal, contribuant fortement à le faire
évoluer vers l’actuelle Assemblée des Évêques Orthodoxes en France
(AEOF) qui vise à la collaboration entre les évêques orthodoxes des
différentes juridictions présentes sur le sol français. Il y anime
la commission liturgique, l’une des instances travaillant sous l’égide
de l’AEOF.
Nicolas compte aussi parmi les membres
du corps professoral de l’Institut de théologie orthodoxe de Paris
(Institut Saint-Serge), où il enseigne l’histoire de l’Église en Occident
durant près de quarante ans.
Son activité panorthodoxe se trouve
imbriquée dans son engagement œcuménique. Il a été sensibilisé à cette
question dès son plus jeune âge, notamment par sa participation au
Fellowship Saint-Alban-and-Saint-Sergius, qui promeut en Grande-Bretagne
le dialogue entre orthodoxes et anglicans, mais aussi par sa scolarité
chez les Jésuites. Nicolas est membre de nombreuses commissions théologiques
de dialogue, telles que Foi et Constitution au sein du Conseil Œcuménique
des Églises comme avec les catholiques qui n’en font pas partie. Il
contribue à la rédaction de documents œcuméniques importants, comme
le BEM (Baptême, Eucharistie, Ministère, Lima, 1982) Il enseigne aussi
à l’ISEO (Institut Supérieur d’Études Œcuméniques), dont il est un
temps le directeur. Il est par ailleurs un fidèle des retraites œcuméniques
de la Transfiguration dans la communauté protestante de Pomeyrol (Gard),
un familier des monastères de Chevetogne et de Bose. Son activité
théologique le conduit à donner des cours et des conférences un peu
partout dans le monde, que ce soit à destination d’un public orthodoxe
ou œcuménique. Il est aussi co-auteur du Dictionary of the Ecumenical
Movement (Genève, 1991).
Il est important de noter que cette intense activité ecclésiale s’est
déroulée en sus de ses engagements professionnels. Nicolas Lossky
a en effet mené une carrière universitaire de professeur de civilisation
britannique à la faculté de Paris-X-Nanterre, institution au sein
de laquelle il a pris des responsabilités pédagogiques et administratives
importantes. Il a obtenu son doctorat ès-lettres en Sorbonne en 1984,
avec une thèse sur le théologien anglican Lancelot Andrewes. Mentionnons
enfin qu’il s’est marié en 1952 avec Véronique Youdine-Belsky, spécialiste
de la poétesse russe Marina Tsvétaeva. Tous deux ont eu quatre enfants,
de nombreux petits-enfants et arrière-petits-enfants. Leurs divers
engagements - familiaux, universitaires et ecclésiaux - furent fondés
sur un dialogue conjugal qui aura duré près de soixante-dix ans. En
2006, Nicolas est appelé à la prêtrise dans la paroisse de son enfance
où il n’a pas cessé d’œuvrer. Affaibli par la maladie à partir de
2011, il n’en continue pas moins son activité théologique et pastorale,
les derniers temps sous forme de conversations et de conseils informels,
jusqu’à sa mort, le 23 octobre 2017.
Le père Nicolas Lossky aura toute sa vie tenu un rôle de conciliateur
: membre d’une paroisse rattachée au patriarcat de Moscou, il n’en
est pas moins professeur de l’Institut Saint-Serge dépendant du patriarcat
œcuménique ; orthodoxe, il ne cesse de dialoguer avec les anglicans,
les catholiques et les protestants dans un esprit bienveillant mais
sans compromis doctrinal ; engagé dans la vie de l’Église, il travaille
dans le milieu laïc de l’université française, se montrant très attaché
à cet environnement socio-culturel au sein duquel il fait preuve d’une
ouverture reconnue et s’efforce, sans repli identitaire, de rester
un fidèle témoin du Christ. Profondément enraciné dans la tradition
russe et irrigué par un riche héritage familial, il œuvre jusqu’à
son dernier souffle pour mettre l’orthodoxie française sur la voie
d’une Église locale autonome, où il est possible dans un contexte
contemporain occidental d’être pleinement disciple du Christ, ainsi
que l’a montré la vie du père Nicolas.
Olga LOSSKY-LAHAM